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Son carnet à dessins
Une nouvelle de Sandrine Waronski (Issy-les-Moulineaux), "coup de coeur" du Concours VIVA! 2024.
On doit raconter une histoire qui a pour cadre un paysage de montagnes. Copie à rendre pour lundi. Vertigineux ! Non pas que je n’aime pas les alpages, mais très vite, l’humeur du jour prend la couleur des neiges éternelles. Elles sont hautes, inaccessibles. Du genre à vous clouer sur place de peur de tomber et de vous faire mal encore une fois. J’ai transformé le sujet de la rédaction de Madame Brun en création picturale. Papa n’a pas l’air d’apprécier. Il me croyait sagement dans ma chambre à noircir des lignes de texte. Au lieu de ça, je transforme ma prose en image. Je le sens prêt à déverser une salve de reproches jusqu’à ce que son regard se pose sur la scène que j’ai crayonnée. Les Alpes. Une forêt d’épineux. Le sourire du soleil levant aussi. Arrêt sur image. Son silence semble durer une éternité. Je ne sais pas trop quoi penser. De toute façon, je suis toujours un peu perdue dans le monde des grands. Alors, j’attends sans rien dire un geste ou une parole de sa part pour connaître la suite de l’histoire.
Depuis l’entrée au collège, l’horizon diffère, mais l’air est similaire. On change de salle à chaque cours. Le seul truc qui me plaise vraiment dans le paysage. Pour les maths, on compte les chalutiers sur la Touques. Le top, c’est le cours de dessin qui ouvre une perspective à couper le souffle sur la mer. Là aussi, par moments, j’aurais presque envie de changer de sujet pour laisser voguer mon imaginaire. On ne va pas se mentir. Depuis l’an dernier, mes notes ne sont pas le reflet de ce qu’on pourrait appeler une bonne élève. J’essaye de m’accrocher à la voix des professeurs pourtant, mais rien n’y fait. Je suis enfermée dans mon monde. Là où les rêves sont plus forts que tout. Quelque part, ça me fait du bien, mais autour de moi, on ne partage pas vraiment la même vision des choses. C’est ce que j’ai expliqué à papa. Je vois bien qu’il m’écoute attentivement. Il finit par poser un baiser sur mon front. Ce moment dégage tant de fragilité. Il ne dit pas un mot, mais je sens néanmoins la force des sentiments et de tout ce qui se cache dans ce geste d’amour. À croire qu’à douze ans, je connais déjà le sens profond du mot empathie.
Je travaille dur sur mon esprit voyageur, sauf que j’ai bien autre chose en tête qu’être assidue en cours. Mon manque d’assiduité, ils savent bien que je ne le fais pas exprès. Au début, on comprend, puis le temps passe. Aux yeux des gens, je rentre dans le rang des enfants comme les autres. Et la vie continue. Sans moi. Concentrée, je le suis, mais plus pendant le cours de dessin ou sur les coins de feuilles où je griffonne panoramas et autres formes géométriques qui n’ont rien à voir avec la leçon du jour.
Mon premier carnet à dessins, je l’ai acheté avec mon argent de poche à la papeterie au bout de la rue. Un peu en secret, je dois dire. Mes notes n’étaient pas terribles, et à la maison, on m’encourageait à tout faire pour redresser la barre. Rien n’y faisait. J’étais bien plus intéressée par mes crayons de couleur que par le rouge biffé par les professeurs sur mes copies. À l’école primaire, ça allait pourtant, jusqu’à ce jour fatidique où tout a basculé. L’envie m’avait quittée. Je frôlais presque l’insolence avec la maîtresse. Elle ne savait pas ce que c’était elle. Moi si. Je ne le faisais pas exprès. C’était plus un moyen de défense. Un mur érigé entre ma tête et le reste du monde. Me voici alors absorbée par le papier Canson et les gouaches qu’on a fini par m’offrir pour m’occuper l’esprit.
En entrant au collège, ma tête se remplit de couleurs. J’embrasse la multitude de paysages que nous offrent les changements de salle. Je les dessine souvent dans ma tête. Juste comme ça. Pour m’échapper. Vient alors la récré, moment propice au dessin et à l’évasion. Je retranscris les reflets du ciel. Le rire d’une mouette. Mes copines comprennent mon besoin d’isolement. D’autres finissent par me trouver bizarre et prennent le large. Au fil des mois, la solitude artistique devient ma meilleure amie. Ainsi va la vie. Un va et vient incessant d’amour et d’amitié qui finissent toujours par s’en aller d’une façon ou d’une autre. Je ne suis pas confrontée à ce genre de problèmes avec mes crayons de couleurs. Il me suffit de tailler une mine cassée ou remplacer une teinte flétrie par une autre et le tour est joué. Le dessin fait corps avec moi. Lorsque la sonnerie retentit, on est même souvent obligé de venir interrompre mon voyage pour me ramener sur la terre ferme. Plus précisément entre quatre murs, là où je vais être forcée de retourner m’enfermer pour le cours suivant.
Le dessin que j’ai fait représente nos dernières vacances à Modane chez les grands-parents. Il s’assied près de moi, les yeux brillants, incapable de dire quoi que ce soit. Il met de longues minutes à reprendre ses esprits pour m’avouer qu’il est impressionné. C’est un taiseux des sentiments mon père. Pas du genre à semer les compliments à tout-va. Lorsqu’il me dit que ce que j’ai fait est bien, je reçois comme un uppercut en plein cœur. J’ai l’impression qu’il a enterré toute colère à mon égard. Oublié le sujet de la rédaction laissé sur un coin de mon bureau. Je lui explique combien j’aime ça. Tenir un crayon en main. Un pinceau. Colorer une page blanche. Ouvrir des perspectives nouvelles qui m’éloignent un peu de la réalité. Il semble enfin comprendre que ce qu’il prenait pour un passe-temps est en fait une passion viscérale. Il me demande de lui montrer mon carnet à dessins. Chose qu’il n’avait jamais faite avant, bien trop préoccupé par mes études qui prennent l’eau. Cet après-midi-là, il m’aide alors à entrouvrir la porte de mon jardin secret. Là où mon cœur coule en silence la plupart du temps.
J’entre aux Beaux-Arts demain. Il m’aura fallu des années pour apprendre la tristesse. Celle qui vous broie de l’intérieur. On a le droit de la laisser s’exprimer. De temps en temps, elle s’impose à vous, couvre votre visage d’un voile de brume. Elle est nécessaire, permet d’avancer. Cette histoire de rédaction au collège, me revient souvent en mémoire. Elle semble écrite en moi comme on graverait des mots sur la pierre.
Lorsque papa m’a transmis son tout premier carnet à dessins, j’ai compris d’où venait ma propre inspiration. Si je n’avais pas su que ces œuvres étaient les siennes, j’aurais pensé que quelqu’un avait copié par-dessus mon épaule. Le jour où c’est arrivé, le soleil baignait la vallée. Elle était partie chercher des croissants pour le petit-déjeuner. J’étais encore au lit lorsqu’un bruit tonitruant m’a réveillée en sursaut. Je me suis levée, les yeux ensommeillés. De la fenêtre de ma chambre, j’apercevais mon grand-père et papa se presser vers la route en contrebas de la maison. Mamie se tenait sur le perron, stoïque. La réalité lui faisant face étant bien trop effrayante pour l’affronter de plus près.
Elle gisait sur le bitume. Je savais que c’était elle, avec sa longue chevelure dorée. Dans un premier temps, j’ai pensé qu’elle dormait. Simplement qu’elle dormait. Puis une tout autre évidence a pris forme au fil des secondes. Papi était penché sur son corps immobile, essayant par tous les moyens de faire battre son cœur. Je n’entendais que les cris autour d’elle. Ces hurlements continuent à déchirer mes nuits de temps à autre. Je me souviens aussi de la main de ma grand-mère, ferme et douce à la fois. Elle a stoppé ma course alors que je n’avais qu’une envie : traverser le jardin à la hâte pour réveiller maman. Mais c’était trop tard. Ce chauffard ne lui avait laissé aucune chance.
Elle ne m’avait jamais raconté son plaisir de peindre. Je n’avais peut-être pas l’âge des confidences. Papa m’a expliqué qu’elle avait commencé gamine, elle aussi. Sans raisons particulières. Juste par goût. Puis les études de médecine si prenantes avaient fini par l’éloigner de sa passion. On aurait dit qu’elle l’avait rangée comme on range un pull dans une commode en fin de saison, sauf qu’elle ne l’a jamais ressortie, les beaux jours venus. Après ce matin sombre, j’ai commencé à dessiner frénétiquement. Au tout début, je jetais des couleurs sur la feuille. Comme ça, sans réfléchir. Du noir. Du rouge. Essentiellement des nuances inhérentes aux souvenirs. Puis, les semaines ont passé. La fureur de peindre s’est ouverte, peu à peu, aux émotions qui m’entouraient. Que ce soit un visage triste ou enjoué ou bien une mer déchaînée. Il s’agissait d’une forme d’échappatoire, même si on n’échappe jamais vraiment aux maux qui saignent. J’aurais tant aimé partager cet amour avec elle. Mais, ce matin-là, maman est partie emportant sur ses ailes le sourire de Jonas. Je n’ai jamais connu mon petit frère, mais sur mes dessins, je ne peux pas m’empêcher de le représenter avec la mine rieuse. C’est ainsi qu’il vit dans mon cœur.