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Comme ils dansent
de Toscane Chemla (Caen) et Claire de Montgolfier (Grenoble) "Coup de coeur" du Concours de nouvelles VIVA! 2025.
«Un rhum coca s’il vous plaît » répète Vincent pour la troisième fois au barman. La boîte de nuit est bondée et sa voix ne porte pas du tout. Odeur d’alcools mélangés, musique effrénée et danseurs désinhibés. Vincent n’est pas dans son élément. C’est son ami Antonin qui l'a poussé à l’accompagner à cette soirée techno dans un vieux club disco : l’un de ses DJs préférés y mixe, et c’est sa dernière date en 2024. Antonin adore danser ; Vincent lui, ne sait pas enchaîner deux pas correctement. Alors il boit pour donner aux autres l’illusion qu’il est à l’aise. Il prend une première gorgée. C’est de l’Orangina, il n’aime pas ça. Tant pis, le barman n’a pas compris. Sur le point de retourner s’asseoir, Vincent se fait bousculer et se retrouve malgré lui sur la piste de danse. Ça y est, il est dans la fosse aux lions. Ils sont déchaînés et rugissent à l’unisson, alimentés par une énergie brute et sauvage. Vincent se sent pris au piège : lui qui a l’habitude d’être un spectateur amusé du cirque, il est désormais sous le feu des projecteurs. Vincent se débat et tente de s’échapper. C’est alors qu’il l’aperçoit.
Ses traits sont banals et sans personnalité, elle a des yeux en amandes et un teint pâle. Ses formes à peine dessinées évoquent le corps frêle et délicat d’un enfant. Le style de fille que Vincent ne remarque pas habituellement. Pourtant, il ne peut s’empêcher de la regarder se balancer. Gracieuse, elle glisse sur la piste avec une aisance naturelle. Sa féminité discrète et fragile est désarmante et la rend presque magnétique. Son rire authentique et chaleureux sonne comme un appel à vivre pleinement. Il est captivé par son énergie, et ressent un mélange d’attraction et d’appréhension. Sans même s’en rendre compte, il se met à danser à son tour d’un pas mal assuré, sans réussir à détourner le regard. Lui qui est si discret habituellement, il veut cette fois-ci être remarqué, observé, admiré. Mais plus il la regarde, moins il se sent à la hauteur : il est gêné par ses mouvements maladroits et ses membres trop longs. Distrait, il trébuche et renverse le verre de son voisin.
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Nicolas se baisse pour ramasser son verre par terre, maugréant contre ces gens qui se déplacent sans faire attention. Il se contorsionne pour s’extraire de la piste de danse, puis cherche du regard ses amis, qui l’ont traîné dans cette soirée. En cette fin d’année 1974, la tendance est au disco et aux paillettes. Nicolas ne cesse de recoiffer ses boucles brunes : il est très mal à l’aise dans ces clubs où la musique devient une simple bande-son sur laquelle on bouge et on crie à tue-tête. Lui préférerait écouter un bon disque vinyle, en fermant les yeux et se laisser habiter par la légèreté d’un album de jazz. Ici, il n’ose pas se laisser aller, encore moins danser, ayant trop peur que son corps allongé le trahisse en lui donnant un air ridicule. Il finit par repérer ses amis, avalés dans ce rassemblement de corps qui se frôlent, s’évitent et se rencontrent. Cette chorégraphie désorganisée le terrorise autant qu’elle le fascine. Il demande à un serveur de lui remplir son verre, et se risque à intégrer ce ballet infernal. Restant à la lisière des danseurs, il tente de copier les mouvements des uns, les expressions des autres, pour comprendre ce qu’il y a de si grisant à se dandiner ainsi.
Soudain, un bruit attire son attention : un groupe de fêtards bien imbibés traverse la foule. Leur meneur est un jeune homme blond et svelte, au teint pâle, avec un rire qui résonne dans toute la salle. Le genre de play-boy à qui tout réussit sans effort, malgré un manque absolu de classe selon Nicolas, qui n’approuve pas du tout cette chemise ouverte et ce pantalon coloré. Ce jeune premier rejoint le centre de la scène sans aucune difficulté, se coulant entre les corps qui semblent s’écarter pour le laisser passer. Dans cette traversée, il frôle Nicolas, qui a le temps de remarquer les jolis yeux en amande du jeune homme, bien plus doux que son rire tonitruant pouvait laisser paraître. Nicolas ne peut alors qu’admirer le magnétisme du garçon, dont la chorégraphie semble décorer la musique de mille couleurs nouvelles. Au bout de quelques minutes, leurs regards finissent par se croiser. Un instant passe, qui a le goût d’une éternité. Nicolas a le sentiment qu’un secret lui est révélé. Après quelques secondes, il se sent rougir : il ne comprend pas pourquoi il accorde tant d’intérêt à ce bellâtre. Il refuse de soutenir cet échange plus longtemps et s’empresse de disparaître dans la foule des danseurs.
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“Arrête ça abruti, à cause de toi je l’ai perdu de vue!” s’énerve Claude contre son ami Olivier : ses blagues d’un goût douteux l’ont déconcentré, et il a rompu le contact visuel avec le garçon aux boucles brunes. Cigarette au bec, son ami, offensé, lève les yeux au ciel : Claude s’est entiché d’une nouvelle nana et, comme d’habitude, il les laisse tomber. Claude ignore les médisances de son ami et scrute la foule à la recherche du troublant jeune homme et de ses yeux perçants. Claude aime attirer l’attention, et a bien conscience de l’effet qu’il peut faire aux gens. Mais cette fois-ci, c’est différent : le mystérieux inconnu semble avoir lu en lui comme dans un livre ouvert. Il ne s’est jamais senti aussi vulnérable, mais cela le laisse étrangement serein. Il espère secrètement croiser ce garçon à nouveau, au détour d’une danse, d’un autre moment partagé. Il l’aperçoit soudain, au bord de la piste : il est seul et n’a pas l’air ravi d’être là. Claude hésite à l’approcher. Il pourrait profiter de la nuit pour, enfin, s’exprimer vraiment… Mais lui dire quoi ? Et risquer de se faire rejeter, moquer ? C’est un pari trop risqué, il se résigne.
Claude rappelle Olivier, qui s’était éloigné, un peu vexé. Il lui propose un verre, et se dit prêt à reprendre la soirée avec lui et ses blagues. Son ami est satisfait et revient à la charge : il s’embarque dans le récit d’une histoire rocambolesque interminable et sans queue ni tête. Cela déclenche le rire généreux et communicatif de Claude, qui sonne toujours plus fort que les autres, comme une victoire éphémère arrachée à un silence imposé.
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L’éclat de rire a résonné dans toute la pièce : c’est Anaïs, qui, comme une fleur, s'épanouit sous la lumière des projecteurs. Dès qu’elle pose un pas sur la piste de danse, elle peut devenir qui elle veut. Elle se laisse emporter par la mélodie, sans réfléchir. Ce soir, elle a décidé ses amies à participer à une soirée techno. En s’inspirant du style des années 70, elle a passé une chemise colorée qui appartenait à son grand-père et un pantalon pattes d'éléphant. Une tenue improbable dans le métro parisien du XXIème siècle, ce qui fait pouffer ses amies. Elle rit avec elles, et se prépare pour sa grande entrée sur scène, son numéro de ballerine de la nuit, qui sied parfaitement à son teint pâle et son corps gracile. Une fois sur place, le spectacle commence. Elle suit la musique, virevolte, entraîne ses amies dans un tourbillon effréné. Les entractes sont courts, le temps de se resservir un verre pour faire un plein d’énergie et de nouvelles rencontres, et aussitôt elle s’échappe pour retourner sur cette scène nocturne.
Comme toujours, elle sent vite des regards et des tentatives de rapprochements. Anaïs a un charisme indéniable et, si elle le sait, elle n’en joue que très peu, n’y voyant pas grand intérêt. Pourtant, cette fois, elle croise le regard d’un jeune homme brun, aux cheveux ébouriffés, grand, qui semble pourtant vouloir se faire tout petit. Il a une tâche de vin sur sa chemise blanche, ce qui pourrait expliquer son embarras. Un peu mystérieux, il dégage un je-ne-sais-quoi qui intrigue Anaïs. Tout en continuant à virevolter, elle essaie de s’approcher, essayant de comprendre pourquoi lui, parmi tous les autres, la captive soudain. En se rapprochant, elle est décontenancée par son regard perçant. Finalement, prenant son courage à deux mains, elle l’invite à danser.